L’un des changements importants du Décret réside dans l’estompement de “l’année d’études” au profit du “bloc”. Un tel changement n’est nullement anecdotique..
Pourquoi ?
Ce qu’il faut dire en premier lieu, c’est que cette “innovation” complexifie – parfois jusqu’à l’hystérie dans certains établissements -l’organisation technique des grilles de cours. Toutefois, là n’est pas l’essentiel (même s’il faut souligner que cette complexification suscite bien des sueurs froides et requiert un maximum d’habiletés adaptatives tant du côté des enseignants et des administratifs, que du côté des étudiants).
L’impact véritable est ailleurs. Il peut s’énoncer comme suit : la réorganisation en “blocs” des années du supérieur a pour effet central de dissoudre la “classe” et les apprentissages collectifs au profit de parcours d’études de plus en plus individualisés ! Ce qui constitue dans bon nombre d’établissements supérieurs un basculement majeur en termes de politique de formation.
En effet, la notion d’année d’études disparaît au profit de celle de bloc annuel, nous explique-t-on. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Pour l’expliciter, indiquons tout d’abord qu’en première année : un étudiant doit avoir réussi au minimum 45 crédits pour passer aux blocs annuels suivants. S’il n’a pas réussi 45 crédits, l’étudiant recommence son 1er bloc annuel, mais en ayant acquis les crédits pour les notes supérieures ou égales à 10/20.
En outre, il a la possibilité d’anticiper des crédits des blocs suivants s’il a déjà réussi entre 30 et 44 crédits (s’il a réussi moins de 30 crédits, il ne peut suivre aucun crédit du bloc 2).
Ces crédits anticipés doivent faire l’objet d’une décision du jury quant au nombre de crédits que l’étudiants est autorisé à prendre dans l’année suivante (alors qu’il est toujours inscrit en 1e année).
La même logique prévaut les années suivantes, et au-delà de la 1e année, l’étudiant entre dans une pure logique d’accumulation de crédits. Les crédits non-réussis sont présentés à nouveau lors du bloc annuel suivant.
Pareille logique a pour effet principal la dissémination des étudiants dans tout le cursus. Que ce soit en Haute Ecole, à l’Université, ou en Ecole Supérieure des Arts ! Au point que les trajectoires au sein d’un même type d’études deviennent de plus en plus spécifiques et atomisées. Conséquences : les apprentissages coopératifs et l’appropriation collective des savoirs – qui reposent sur la stabilité du groupe/classe – au-delà de la 1e année d’études, deviennent donc de plus en plus rares voire inexistants. Et ce en raison de l’effilochage voire de la dissolution de ces groupes/classes sous la poussée de la réorganisation induite par le Décret.
Or, le groupe a toujours été un adjuvant puissant dans tout apprentissage :
– Parce qu’il permet dans tout groupe/classe, toujours plus ou moins hétérogène, de faire progresser celles et ceux qui ont le plus de difficultés, tout en maintenant la motivation des plus “avancés”.
– Enfin, parce qu’il convient aussi de ne pas oublier que la formation ne se réduit pas à la seule acquisition de savoirs (théories, savoirs-faire, savoirs-être), mais qu’elle constitue aussi une expérience socialisatrice allant à l’encontre du repli de chacun dans sa bulle d’apprenant.
Dès lors, cette dissolution de la dimension collective au profit d’un individualisme strict doit s’appréhender en tout état de cause comme un résultat des politiques néo-libérales, qui au cours de ces dernières années ont influé de plus en plus lourdement sur le marché de la formation, prescrivant à chacun de devenir “le petit entrepreneur” de sa propre existence.
Eric Bruggeman
Infor Jeunes Laeken