Nul n’ignore aujourd’hui, grâce aux enquêtes PISA et aux indicateurs de l’enseignement en FWB, qu’il existe une corrélation entre échec scolaire et indice socio-économique. Les milieux populaires sont-ils pour autant démotivés ou résignés face à l’école ? Faux ! Répondent les sociologues de l’enseignement.
S’il est vrai que nombre d’élèves issus des familles de milieux populaires ont un parcours scolaire marqué par des retards et des bifurcations plus importants que les élèves des classes moyennes ou supérieures, la “relégation” n’est pas pour autant une fatalité qui s’abattrait sur eux. En outre, s’il est vrai aussi que les milieux populaires privilégient d’avantage le rapport utilitariste à l’école (en tant que lien mécanique à l’emploi), et que ceux-ci perçoivent plus souvent les études comme une “dépense” plutôt que comme un “investissement”, ces familles sont néanmoins loin d’être démissionnaires par rapport à l’école. Elles sont conscientes des enjeux scolaires pour l’avenir de leurs enfants, et aujourd’hui elles se mobilisent souvent à l’école. C’est à de telles conclusions qu’aboutissent notamment les travaux menés par le sociologue Christophe Delay (1)
En effet, les familles de milieux populaires souhaitent désormais que leurs enfants poursuivent leur scolarité le plus longtemps possible, et elles ne se résigneraient que lorsqu’ils manifestent des difficultés scolaires majeures et incontournables.
Cependant, cette implication des parents se confronte au suivi malaisé pour eux des devoirs, ainsi qu’à une résistance face aux nouvelles pédagogies et parfois à une certaine distance avec les enseignants.
Ces caractéristique découlent de l’ambivalence des parents à l’égard de l’école. Ambivalence qui est liée à leur position entre deux cultures à légitimité inégale : leur culture d’appartenance (à faible légitimité dans le contexte scolaire) et la culture de référence (culture dominante) véhiculée par l’Ecole. A cela vient s’ajouter la défiance des parents de milieux populaires envers leurs compétences personnelles, tant scolaires que linguistiques, qui est souvent le fait des couches sociales les plus démunies en capital culturel.
Il faut noter que les parents de milieux populaires font la plupart du temps des efforts énormes pour que leurs enfants réussissent leur scolarité. Mais les clichés ont la vie dure, et ces parents, en dépit de leurs efforts, sont souvent perçus par les enseignants et les directions d’école comme des personnes se préoccupant peu, voire pas du tout, de l’avenir de leurs enfants.
Le sociologue Bernard Lahire démonte ce mythe de la démission parentale (2) :
« Ce mythe est produit par les enseignants qui, ignorant les logiques des configurations familiales, déduisent à partir des comportements et des performances scolaires des élèves que les parents ne s’occupent pas de leurs enfants et laissent faire les choses sans intervenir. Notre travail fait clairement apparaître la profonde injustice interprétative qui est commise lorsqu’on évoque une ‘démission’ ou un ‘laisser-aller’ des parents. Presque tous ceux que nous avons interrogés, quelque que soit la situation scolaire de l’enfant, ont le sentiment que l’école est une chose importante et expriment l’espoir de voir leurs enfants ‘s’en sortir’ mieux qu’eux. Il est d’ailleurs important de souligner que les parents, en exprimant leurs vœux quant à l’avenir professionnel de leurs enfants, ont souvent tendance à se déconsidérer professionnellement, à ‘avouer’ l’indignité de leurs tâches : ils souhaitent pour leur progéniture un travail moins fatigant, moins sale, moins mal payé, plus valorisant que le leur. »
Une des pistes en faveur d’une école plus inclusive et plus égalitaire, serait d’agir sur les « représentations sociales » qui sont profondément ancrées dans chacun d’entre nous et qui influencent notre perception de la réalité. Car, malgré les apparences, les familles et les jeunes de milieux populaire connaissent et reconnaissent la valeur de l’école. Le rapport milieux populaires/école pourrait mieux fonctionner si tous les acteurs du système scolaire faisaient l’effort de ne pas juger les autres en fonction de leurs propres expériences et perceptions de la réalité.
Une autre piste d’amélioration, que nous avons maintes fois évoquée, est l’implémentation de la mixité sociale dans les établissements en vue de dissoudre les ghettos et la culture de l’entre-soi.
Eric Bruggeman
Infor Jeunes Laeken
(1) Christophe Delay, Les classes populaires à l’école. La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2011
(2) Bernard Lahire, Tableaux de familles, Gallimard, Le Seuil, Paris, février 1995