La FEF tire un constat peu glorieux de 20 années de tergiversations dans la gestion par le politique des études de médecine.
Une Carte blanche co-signée par les président-e-s de la FEF de 1991 à aujourd’hui, parue dans Le Soir en mai 2015, contre la limitation des numéros INAMI en médecine.
Dossier Inami une tragédie ou une farce?
«Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter.» Depuis plusieurs mois, la problématique des numéros INAMI déchaîne les passions. Désaccords entre étudiants en médecine, retournement de veste des responsables politiques, bras de fer entre fédéral et communautés pour imposer un système inique: depuis septembre, les polémiques s’enchaînent. Comme un air de déjà-vu. En tant qu’actuels et anciens présidents de la Fédération des Étudiants Francophones, nous pouvons vous affirmer une chose: cela dure depuis bien plus (trop) longtemps !
Chacun d’entre nous a été confronté à l’épineux dossier du contingentement fédéral de numéros INAMI pendant son mandat étudiant, suivi de près par son fidèle corollaire: la sélection à l’entrée des filières concernées. Chacun d’entre nous eut à lutter contre les corporatismes pour défendre l’accès aux études de médecine et, partant, l’accès pour tous à des soins de santé. Rappel des épisodes précédents…
Il y a 20 ans, la FEF s’indignait déjà
En 1997, après des années de bras de fer entre les représentants étudiants et l’Absym (Association belge des syndicats médicaux, NDLR), le gouvernement fédéral choisit son camp et décide de limiter l’accès à un ensemble de professions médicales par le biais d’un contingentement de numéros INAMI. Les raisons en sont diverses, officielles et officieuses, la plus assumée étant la volonté de limiter le coût des soins de santé, basée sur le raisonnement simpliste selon lequel moins il y a de médecins, moins les gens vont chez le médecin, ce qui fera diminuer le coût des soins de santé pour l’Etat. La FEF s’indigne et met surtout en garde contre la pénurie de médecins, cyniquement planifiée par cette décision politique.
Le contingentement fédéral conduit dans la foulée les Communautés à limiter le nombre d’étudiants diplômés. Du côté francophone, un concours est mis en place en fin de troisième année en médecine. Autrement dit, après trois années d’études, certains étudiants ne pourront pas continuer à étudier la médecine. Pire, on contraint des étudiants qui ont réussi selon les critères académiques à faire face à un mur, puisque qui dit concours dit «que le meilleur passe». La FEF monte une nouvelle fois au créneau.
En 2003, la ministre Françoise Dupuis (PS) supprime le concours en fin de 3e année. Problème réglé ? Non. Le contingentement fédéral est toujours là, immuable, coulé dans le marbre. Impossible dans ces conditions de laisser tout étudiant sortir avec un diplôme de médecine en poche! C’est la logique que suivit deux ans plus tard Marie-Dominique Simonet (CDH) en réinstaurant un concours. En fin de 1re année cette fois. Nouveau tollé chez les étudiants, rejoints dans leur argumentaire par le Conseil d’Etat qui invalide le mécanisme et ses conséquences sur les «reçus-collés», ces étudiants qui ont réussi leurs examens, mais coincés en fin de 1re année car pas suffisamment bien classés.
Amers constats
Retour à la case départ, le concours en fin de 1re année est «gelé» et l’accès aux études de médecine à nouveau libre. Après s’être engagé à supprimer toute sélection en médecine, Jean-Claude Marcourt (PS) met en place dès 2012, un «test diagnostic» s’imposant à chaque étudiant désireux de s’inscrire en médecine, complété par une session de janvier aux allures de jugement dernier.
Aujourd’hui, après des mois de polémique, le même Jean-Claude Marcourt annonce le retour d’un concours en fin de 1re année, en mettant «toute son équipe de juristes sur le coup pour éviter les écueils dénoncés par le Conseil d’Etat».
En tant qu’actuels et anciens présidents de la FEF, nous sommes consternés par ces tractations cycliques, incapables d’apporter une quelconque solution juste et durable pour les étudiants en médecine. La même décision qui relevait alors de l’hypothèse corporatiste et budgétaire – le pari du numerus clausus pour réduire le coût public des soins de santé – devient 20 ans plus tard une flagrante erreur politique. Car chacun sait aujourd’hui que non, le numerus clausus n’a pas permis de réduire significativement la croissance des soins de santé mais que oui, la pénurie de médecins s’est installée et l’accès aux soins de santé est de plus en plus difficile pour une part de plus en plus grande de la population.
Consulter un spécialiste: un parcours du combattant
En effet, le budget des soins de santé belges s’élève à 31 milliards pour l’année 2015. Un chiffre en augmentation croissante depuis plusieurs décennies et ce, malgré le numerus clausus. On peut donc déjà s’interroger sur la pertinence du maintien pendant plus de 15 ans d’une politique qui ne fonctionne manifestement pas. Mais à cette inefficacité, s’ajoutent les «dommages collatéraux» du contingentement, dont le premier est la pénurie de médecins !
Alertés depuis le début par les experts en planification médicale, l’accès aux soins de santé est maintenant un problème bien réel. La pénurie de médecins généralistes est criante, majoritairement dans les zones rurales mais aussi en plein centre-ville, comme à Charleroi! Et la situation n’en devient que plus alarmante quand on sait que plus de la moitié d’entre eux ont plus de 55 ans. Prendre un rendez-vous avec un spécialiste: un pédiatre, par exemple. Ou un gynécologue. Cela relève du parcours du combattant !
Le bilan à tirer du mécanisme de contingentement fédéral est relativement évident ! L’objectif est-il atteint ? Non. Ce changement a-t-il eu une répercussion positive? Non. Alors pourquoi continuer à suivre aveuglément un choix politique posé il y a 17 ans sans jamais le remettre en cause ? Bien que l’ensemble des partis francophones se soient positionnés contre ce système inique dans une résolution adoptée à l’unanimité au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2000, cela fait donc 15 ans que ces derniers ne semblent pas avoir les mêmes positions une fois qu’ils sont ministres dans un gouvernement fédéral.
Et maintenant, où en sommes-nous? Quelle issue au débat incessant sur ce numerus clausus fédéral et son indissociable pendant communautaire, la sélection ? Toujours au même point, aussi kafkaïen depuis plus d’une décennie: nous manquons de médecins et plutôt que d’en diplômer plus, on en diplômera moins – tout en appelant des médecins étrangers, moins coûteux, à venir combler cette pénurie contrôlée. Les étudiants sont les otages des revirements politiques incessants dont la Fédération Wallonie-Bruxelles est l’antichambre quand le Fédéral brille, quels que soient les ministres ou les majorités, par son inertie.
La priorité, aujourd’hui, est de jeter les bases d’une réflexion profonde sur la planification médicale comme pointe de l’iceberg de l’organisation irrationnelle de notre système de soins de santé et de se confronter aux erreurs politiques passées au lieu de les répéter inlassablement.
Corinne Martin, présidente de la Fédération des étudiants francophones (FEF); Michael Verbauwhede, Romain Gaudron, Mathias El Berhoumi, Delphine Michel, Renaud Maes, Mathilde Collin, François Schreuer, Steffen Fobe, Emily Hoyos, Gregor Chapelle, David Mendez Yepez, Philippe Henry, Jonathan Couvreur, Philippe Lesne, Fabrizio Buccella, Pierre Verbeeren, Sarah Van Hosmael et Aurian Bourguignon, ancien-ne-s président-e-s de la FEF.