L’article 24 de la constitution consacre la liberté de choix des parents. En matière d’inscription, on entend régulièrement les opposants à toute forme de régulation s’insurger contre des mesures dites « liberticides». Paradoxalement peu de voix se font entendre afin de contester le caractère contraint de l’orientation scolaire. En effet – et cette réalité s’est encore accentuée du fait de la réforme du premier degré d’avril 2014 -, à l’issue du CE1D, les conseils de classe interdisent à plus de la moitié, voire à deux tiers des jeunes, de continuer leurs études dans le Général.
Les chiffres que nous avançons ne sont pas fantaisistes. Depuis longtemps déjà, les indicateurs de l’enseignement font apparaître le fait que deux tiers des jeunes, dès la troisième (Technique et Professionnelle), fréquentent une filière ou une section qu’ils n’ont pas choisie. Le phénomène n’est pas nouveau, me direz-vous. Certes, mais aujourd’hui le système se rigidifie, devient plus restrictif encore, de sorte que le conseil de classe peut renvoyer vers les CEFA. Il importe de savoir que si le jeune est orienté en CEFA article 45, celui-ci n’aura aucune possibilité de décrocher son CESS.
Comme nous le précisions dans un numéro précédent, les parents (ou le jeune majeur) peuvent refuser cette orientation. Mais qui aura connaissance de cette disposition, qui déroge au principe général qui veut que la décision du conseil de classe en matière d’orientation soit contraignante.
Comment expliquer, du reste, que le caractère contraint de l’orientation scolaire fasse couler si peu d’encre ? Où sont donc passés les hérauts du libre choix, pourquoi ne s’émeuvent-ils pas du caractère liberticide d’une telle disposition ? Et si on n’était pas tous égaux devant la liberté ?
On le sait : se sont principalement les enfants des milieux favorisés qui fréquentent le Général, tandis que les milieux populaires sont surreprésentés dans le qualifiant. Ceci explique sans doute cela. Quelle outrecuidance quand même que de penser que les familles « modestes » devraient avoir le droit de peser sur leur avenir !
Certes, il ne nous échappe pas que nos capacités de choix sont fonction des conditions objectives dans lesquelles celles-ci se développent, mais cela ne saurait justifier la relégation vers le qualifiant. Il reste anormal et choquant que le système scolaire, au lieu de réduire les inégalités sociales, approfondissent celles-ci. Du reste il est parfaitement vain de soutenir que l’on veut revaloriser le qualifiant et, dans un même mouvement, renvoyer vers celui-ci ceux qu’on juge inaptes au Général.
La généralisation d’épreuve certificative externe couplée à l’orientation contrainte risque d’approfondir la dualisation du système scolaire. Car, si théoriquement le niveau de l’enseignement est censé être le même quelle que soit l’école, la réalité concrète du système révèle un tout autre visage.
Certes plus de 95% de jeunes décrochent leurs CEB, mais seuls 50% d’entre eux obtiennent le CE1D. Que s’est-il donc passé en deux ans ? En guise d’explication, on nous parle de saut conceptuel, de difficulté à s’adapter aux exigences du secondaire. Mais en réalité, on ne cerne pas les raisons de cette inadéquation.
Il est proprement inacceptable que notre système génère autant d’échecs. Si certains ont pensé les épreuves certificatives extérieures comme des balises, des outils devant permettre de réajuster les apprentissages, ces épreuves peuvent aussi figer la réalité. Le diagnostic d’échec si cruellement posé devrait générer sans plus tarder des modifications en profondeur de notre système scolaire. Faute de quoi, les épreuves externes certificatives, même si elles n’ont pas créé l’échec scolaire, risquent, en lui conférant une telle visibilité, de légitimer celui-ci.
Le système de quasi-marché scolaire qui est le nôtre, fait la part belle à la concurrence entre établissements. Classifier ceux-ci, établir un ranking des établissements les plus sélects qui mènent à la réussite, ne pourrait qu’intensifier le néo-libéralisme déjà à l’œuvre dans notre système éducatif. Fort de cette logique, la sélectivité à l’entrée, ainsi que tout au long du cursus scolaire, ne pourrait qu’être renforcée afin de garantir la bonne réputation de l’école.
De même la multiplication d’épreuves certificatives extérieures (CEB, CE1D, CE2D, CESS) ne peut que générer un stress supplémentaire, et des risques de bachotage. En effet, il y a fort à parier que l’année s’organise autour de la préparation de l’épreuve, au détriment du processus d’apprentissage proprement dit. Si à l’avenir le CE1D et le CE2D devaient tous deux devenirs obligatoires, qu’en serait-il du tronc commun polytechnique ? Celui-ci ne serait-il pas condamné avant même d’avoir été réellement implémenté.
En conclusion : quel sens cela a-t-il de mesurer les résultats obtenus sans s’intéresser au processus d’apprentissage ? N’est- il pas idiot de s’enfermer dans une lecture univoque privilégiant la causalité linéaire ? Ne faut-il pas appréhender la réalité sur un plan systémique et poly-factoriel ? Répondre positivement à cette dernière question impliquerait la mise en œuvre d’une véritable réforme structurelle, et en finir avec les aménagements cosmétiques et autres réformettes.
Chantal Massaer, Directrice
Infor Jeunes Laeken