Cette année la rentrée scolaire et la rentrée politique se télescopent. En effet, l’année 2013-2014 sera charnière. Les élections du mois de mai viendront à coup sûr reconfigurer notre paysage politique et institutionnel.
Si tous les partis s’accordent dans un bel unanimisme à voir « la Jeunesse » comme une richesse et l’éducation ainsi que l’enseignement comme des enjeux sociétaux majeurs, Charles Michel nous le promet : sans abrogation du décret inscription, il ne participera pas au gouvernement.
On présentait à tort le débat sur l’enseignement derrière une unanimité de façade : celui-ci fera rage. Mais les vrais questions seront-elles posées ? Les enjeux seront-ils mis en perspectives ?
Un premier constat s’impose : les enquêtes Pisa, réalisées à la demande de l’OCDE, mettent sans fard en évidence la dualité du système scolaire belge. En effet, celui-ci est le plus inégalitaire de l’Europe. C’est en Belgique que l’écart entre les compétences acquises par les jeunes issus de milieu socio économiquement favorisé et les jeunes issus de milieu populaire, est le plus grand.
Face à ce constat sans appel, on pourrait légitimement penser que tous les acteurs du monde politique se fixent un objectif majeur : faire reculer l’inégalité à l’école et l’échec scolaire. En effet, si les jeunes représentent la « richesse » de notre société, quelle cruauté et quelle gabegie que de laisser se désespérer celle-ci dans des écoles « dites poubelles ».
Cet indispensable débat sur la dualité du système scolaire est toutefois oblitéré, voire parasité, par des questions que l’on impose comme fondamentales : la liberté de choix, l’autonomie des écoles, l’excellence, le projet pédagogique, l’accueil personnalisée, la notion de “bonne école”.. Certes ces concepts peuvent recouvrir des réalités probantes ou cacher des pratiques parfois peu reluisantes. C’est pourquoi nous vous proposons dans ce numéro un petit lexique satirique et critique.
Si la problématique scolaire se pose dans des termes psychopédagogiques, trop souvent on la réduit à cette dimension, et l’on nie la dimension sociologique et politique des choix qui dessinent le système scolaire. Il est évident que notre imaginaire collectif reste habité par une vision de l’école en tant que vecteur d’éducation, alors que ladite école est déjà fortement engluée dans une logique de marché. Certains convoquent, avec beaucoup d’à propos d’ailleurs, cet idéal, afin de masquer leur stratégie clientéliste ( voir aussi l’article du numéro sur les “dix commandements”)
En conséquence, si vous chaussez uniquement « des lunettes psychopédagogique », il y a fort à parier que vous ne comprendrez rien à la logique de marché qui régit le système scolaire. En effet, vous risquez de n’aborder les problèmes qu’en termes d’apprentissage et du seul point de vue individuel, alors qu’au plan collectif se pose la question du mode d’organisation de notre système scolaire et de sa volonté de promouvoir une école de la réussite pour tous. La Belgique se distingue tristement par un taux d’échec et de décrochage scolaire record qui n’est pas une fatalité ! Ni même le corollaire ou le prix à payer pour « l’excellence » de quelque uns..
L’ensemble de cette situation ne s’explique pas par un déficit de pédagogie, et encore moins par le fait que certains élèves sont peu studieux et moins doués. Mais, elle est le fruit de la logique de quasi-marché qui anime notre système.
Acteurs de cette logique, certaines écoles n’hésiteront pas à adopter une stratégie* qui leur permettra de capter les parts de marché les plus prometteuses (le Général), correspondant à la clientèle la plus favorisée. Il reviendra à d’autres de picorer les miettes que les écoles réputées auront laissées derrières elles.. Est-il juste et adéquat que certaines écoles aient à faire face à toutes les difficultés ? Que ce soient les mêmes écoles qui reçoivent les primo-arrivants, les classes différenciés, les élèves en échec scolaire ou exclus. Comment est-il possible que, sous couvert d’éducation, l’on recrée des ghettos où se retrouvent les familles à faibles revenus, dont les parents n’ont pas de diplôme et un accès difficile à l’emploi ?
Si vous n’êtes toujours pas convaincu que le système scolaire fonctionne comme un marché, je vous invite à regarder le miroir à peine déformant que nous offre le marché privé de la remédiation scolaire : ce marché en pleine expansion révèle et renforce la dualité déjà en œuvre.
Si vraiment, en tant que progressistes, vous pensez qu’il devient urgent et impératif que l’école redevienne un acteur d’émancipation sociale et de réussite scolaire, vous ne pouvez que vous prononcez en faveur de la régulation du système scolaire.
Les chiffres le prouvent : les pays qui régulent leur enseignement, sont ceux qui génèrent la plus grande réussite scolaire ! Vous trouverez aussi dans ce numéro un article qui développe cette question, qui explicite le lien entre égalité et régulation.
Il est trois moments clefs où l’école sélectionne son public : à l’inscription, à l’exclusion, à l’orientation. Il est fondamental de faire reculer l’arbitraire trop souvent à l’œuvre dans ces moments-là. Nous devons prendre ces problèmes à bras-le-corps, et faire appliquer les dispositifs légaux déjà adoptés en ces matières.
Tous le monde s’accorde à dire que le décret inscription est perfectible, toutefois l’abandon de mécanisme de régulation en matière d’inscription serait absolument catastrophique. Plus que jamais la loi du marché viendrait exclure les plus faibles et condamner le reste de la population à participer passivement ou activement à ce jeu de massacre.
Il nous faut revenir aux fondamentaux : l’école doit – en acte – devenir le lieu de l’épanouissement et de la formation des jeunes. Il lui revient concrètement de faire éclore les citoyens de demain, de faire partager à tous et toutes nos valeurs essentielles de démocratie et d’égalité. Mais pour que l’école ait les moyens de nos ambitions, il faut réguler, ou mieux : sortir de la logique de marché scolaire !
Chantal Massaer – Directrice
Infor Jeunes laeken