Animation : Marc Sinaeve et Elodie Chantraine, Professeurs à l’IHECS

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Objectif de l’atelier : comprendre les enjeux liés à la discrimination sociale à travers le fonctionnement des médias sur la question

En effet, les médias peuvent être un outil particulièrement précieux dans la lutte contre les discriminations.

Une des pistes soulevées afin de combattre la discrimination serait de renforcer la mixité sociale. Mais cette mixité n’est pas soutenue par l’opinion publique. En effet, elle renvoie à la peur du nivellement par le bas, principalement due au fait que ce public associe élève d’origine étrangère et comportement difficile.

Cette attitude de l’opinion publique influence bien entendu les décisions politiques qui sont ou pourraient être prises en la matière. En effet, si les citoyens ne sont pas intéressés par la question de la mixité sociale, les campagnes électorales n’aborderont pas ce thème.

Si l’opinion s’oppose à la mixité sociale à l’école, l’instauration des régulations au niveau du marché scolaire sera compromise.

Le processus d’inscription en 1ère secondaire a vécu une véritable saga suite aux décrets successifs qui l’a réglementé (Décret Arena, Décret Dupont, pour finir avec celui adopté par la Ministre Simonet, le Décret Inscriptions). Au cours de cette saga, les médias ont surtout choisi de présenter les cas des élèves issus de la bourgeoisie qui n’arrivaient pas à trouver de places dans une des écoles de leur choix. En contrepartie, les enfants de milieux précaires qui connaissaient le même problème, n’ont pas bénéficié de la même tribune médiatique. Les écoles dont les médias vont interviewer les directions, sont en général peu ou pas du tout ouverte à la mixité sociale (écoles qui n’ont la plupart du temps que du général dans leur offre de formation).

La question qui en découle est celle de l’accès aux médias. Cet accès est possible – et donc la prise parole qui en découle -, si les personnes ont des relais au sein du monde médiatique. Or, nous savons que ces relais, ces clés d’accès, ne sont pas réparties de « manière équitable » entre les différentes couches de notre société.

Tout d’abord, la stigmatisation opérée par les médias a un impact considérable. Sous une allure descriptive, ceux-ci adoptent des positions normatives. Ils choisissent préalablement à tout travail d’investigation et de réalisation, la manière dont ils vont aborder et conclure un sujet donné.

On peut citer à titre d’exemple les questionnaires PISA qui se basent sur les matières vues dans l’enseignement anglo-saxon. Ces questionnaires servent à évaluer les performances des élèves et permet la comparaison entre les pays développés. Les élèves belges ont donc plus de difficultés à réussir ces questionnaires puisqu’ils ne suivent pas ce type d’enseignement. Les journalistes spécialisés devraient aller sur le terrain et donner une autre lecture des faits, ce qui n’est pas le cas.

Il faut noter que le journalisme est toujours en quête de spectaculaire, et donc de mauvaises nouvelles qui ont plus d’impact que les bonnes. Les médias ciblent aussi les individus, ce qui aboutit à un phénomène de stigmatisation.

Actuellement, nous sommes face à l’information en continu, ce qui ne permet pas de monter des dossiers solides avec une connaissance accrue du sujet. On assiste alors à une re-prolétarisation du travail de journaliste alors qu’on lui a donné des outils technologiques nouveaux et plus performants.

Les gens visibles sont plus facilement interrogeables mais ils ne représentent pas l’ensemble de la réalité sociale. Le journaliste peut alors interroger des personnes plus facilement, en recourant toujours aux mêmes personnes des mêmes milieux, sans devoir accomplir un travail de recherche en amont, ce qui est pourtant primordial.

C’est ici qu’intervient la notion de classes sociales. Les journalistes représentent en effet eux-mêmes une classe sociale, tout comme les enseignants ou les politiques par exemple.

Les professeurs sont les produits de la réussite des écoles qu’ils fréquentent. Etre journaliste signifie avoir réussi des études et être le produit de la réussite de l’école. Il s’avère donc très difficile de remettre l’école en cause puisque ces personnes sont le produit de cette institution. Finalement, nous devons constater que la majorité des individus se conforment aux stéréotypes pour réussir socialement, stéréotypes desquels ils ont du mal à sortir.

Il est dès lors nécessaire d’adopter un discours critique par rapport aux médias et aux journalistes et ce, notamment lorsqu’on s’adresse aux étudiants. Or, quand on essaye d’expliquer que l’équilibre, au sein des médias, entre les pôles informatifs et commerciaux tend à pencher dangereusement vers le second, la réaction de ceux-ci est plutôt négative.

Le fait de casser les repères implique que les gens y adhèrent beaucoup moins facilement. Si les médias montraient plus de situations d’injustices criantes, le public pourrait avoir un regard plus souple vis-à-vis de ces situations. Montrer les gens les plus faibles dans d’autres situations que des situations de colère ou de révolte changerait l’idée que la population se fait des classes les plus pauvres.

L’accès aux médias implique également la maîtrise de la langue et du discours en vigueur au sein de ceux-ci, ce qui peut s’avérer difficile. En effet, toutes les personnes susceptibles d’être les premiers bénéficiaires du Décret Inscriptions ne maîtrisent pas les codes et n’ont donc pas accès aux médias. Il leur est donc très difficile de s’exprimer sur ce sujet.

Il faut néanmoins faire une distinction entre la presse audio-visuelle et la presse écrite car dans cette dernière il est possible de retravailler la matière qu’on a collectée sur le terrain.

Si l’on observe le journal La Libre Belgique, on ne perçoit aucune volonté de remettre en question le système du « libre choix », ce qui entraîne une relative méfiance à l’égard des décrets successifs. Mais le traitement dans le débat et dans les titres paraît relativement équilibré et une analyse du dossier sur le fond est bien présente. Le Soir, quant à lui, adopte une approche dénuée de cohérence sur le sujet, dépendant du journaliste traitant l’information.

Remarquons également que le traitement des faits n’intègre pas toujours des angles de visions différents. Un traitement qui met en exergue les côtés manichéens du sujet est toujours privilégié. Les politiques qui ont accès aux médias adaptent leur discours aux exigences de ceux-ci.

Le journalisme aujourd’hui ne consiste plus qu’à raconter des histoires. Les individus sont alors enfermés dans des stéréotypes et dans des rôles. Concrètement, cela signifie que lorsqu’on est pauvre, on ne peut parler que de pauvreté, quand on est jeune on ne peut parler que de délinquance ou de drogue !

L’objectif est de développer un regard critique envers les médias, d’apprendre à les décoder, et de faire preuve de recul quant au traitement qu’ils réservent à l’actualité.

Cependant, les individus qui ne possèdent pas les codes se sentent perdus face à cela.

Or, il est indispensable que les personnes puissent elles-mêmes devenir des producteurs de contenu. On se dirigerait alors vers du journalisme contributif : quitter le côté spectateur pour aller vers d’autres angles d’approche.

Les populations les plus pauvres sont dans la consommation alors que ce sont elles qui pourraient donner de la voix sur les sujets qui les touchent.

Sur ce point, outre l’accès aux médias dominants, qui demeure un enjeu essentiel, il y aurait lieu de prendre plus en compte les capacités de mobilisation et de diffusion des réseaux sociaux et des médias 2.0. L’histoire récente nous a, en effet, montré qu’ils pouvaient être des vecteurs puissants de contre-feux et d’émancipation, y compris à grande échelle.

Web : http://www.ihecs.be/ 

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