vacances-calculVéronique Marissal est la coordinatrice des écoles de devoirs en Région bruxelloise. Elle a bien voulu répondre à nos questions, et donner son point de vue sur la réalité de terrain de ces écoles, sur le rôle qu’elles ont à jouer, et sur la pression des facteurs sociétaux qui s’exercent  sur ce secteur..  

Infor Jeunes Laeken : La déclaration de politique gouvernementale de juillet 2014 ne tient guère compte des  recommandations  formulées par les écoles de devoirs au cours de ses dernières années. Quel est ton commentaire à ce sujet ?

Véronique Marissal : La déclaration gouvernementale tient compte d’une partie de nos revendications. En effet, elle parle  de réinstaurer dans les écoles, de manière plus systématique, des études  dirigées et d’y remettre des activités extrascolaires dans l’école. Pour des raisons de crainte quant à l’avenir professionnel, certaines écoles de devoir restent opposées à cette idée et considère qu’il serait d’avantage intéressant de réintroduire le devoir dans l’école plutôt qu’à la maison où les enfants se retrouvent dans des situations inégales selon leur  environnement, selon la capacité des parents à payer des cours particuliers ou à engager des personnes qui les encadrent.

 Les écoles de devoir sont saturées. De très  nombreux enfants  sortent de l’école avec leurs devoirs, des matières incomprises, pas de méthode, sans trouver de lieux pour les aider.  Il  nous semblait donc intéressant que  les devoirs « accompagnés » puissent  se dérouler dans l’école.  Celle-ci est obligatoire et devrait  normalement être plus égalitaire. Ce qui n’est plus le cas si elle renvoie  à l’offre extra scolaire extérieure.

Ce qui, part contre, n’est pas du tout présent c’est la place que les écoles de devoir revendiquent au coté de l’école en complémentarité avec celle-ci. Nous restons convaincu que pour apprendre, l’enfant a certes besoin de passer par l’école, mais il a aussi besoin de construire  et de revisiter ses apprentissages dans une autre relation pédagogique avec d’autres. Il a aussi besoin de sortir du cadre ô combien évaluateur qu’est l’école. Et de ça, la déclaration gouvernementale ne parle pas.

IJL : Comment la CEED réagit face à ce que la Ministre appelle « l’école de l’excellence « ?

V.M : Je voulais jeter un pavé dans la mare.  Je tiens  à dire mon inquiétude quant à la rentrée.  J’ai entendu la Ministre de l’enseignement parler de l’enseignement de la performance, de l’enseignement de l’excellence. J’avais l’impression qu’on avait une responsable de circuit de formule 1 qui était en train de nous parler de l’excellence de certaines écoles.  L’excellence existe certes, mais il y a aussi de sérieux problèmes dans certaines écoles.  Il y a même des enfants qui ont  8 ans et qui n’ont pas d’école mais cela semble secondaire. Je suis assez inquiète de voir cet aveuglement qui consiste à dire :  on a un bon enseignement  puisque l’on a des écoles de l’excellence. Les problèmes scolaires sont corrélés aux inégalités socio-économiques, on le sait. Pourtant, ces «écoles de l’excellence » écrèment dès le premier cycle de l’enseignement secondaire. Le Décret  inscription n’a en rien aidé là dedans parce qu’en fait, les élèves sont  accueillis en première et on leur fait doubler la deuxième, et la plupart d’entre eux sont hors circuit.  Donc je suis très heureuse d’avoir une Ministre, « Madame formule 1 », et inquiète à la fois parce que elle n’est pas uniquement Ministre de l’enseignement, mais elle est Ministre de l’enfance, et donc de l’accueil extra scolaire, et donc à elle seule va pouvoir décider : les écoles de devoir, c’est ça, les écoles c’est ça. Donc, ça ne peut qu’inquiéter de voir cette centralisation. L’intitulé même de l’excellence, ça ne parle pas de réussite pour tous. C’est très violent pour celui qui n’y arrive pas.  Ce sont des termes que l’on utilise et qui sont symboliquement excessif.  Cela rend ceux qui réussissent arrogant et ça mine petit à petit les médiocres.

 La plupart des jeunes ne voient pas le sens de ce qu’ils apprennent à l’école. Ils ont peu de lieux où remobiliser leurs  apprentissages, les savoirs dans des situations de vie etc.  Je pense que l’on ne va jamais résoudre cette question de “pourquoi aller à l’école ?”. On est dans l’obsession du résultat, et on ne s’interroge absolument pas sur les processus d’apprentissage ni sur la pédagogie qui devrait se faire à l’école.  Il y a une obnubilation du résultat qui met les gens en compétition, qui met les gens en opposition et provoque énormément de souffrance. Ce système de performance et d’excellence, qui a toujours été le système de l’enseignement en Belgique, n’a jamais été remis en question.

IJL : Comment maintenir, dans le contexte actuel, les objectifs et les valeurs d’émancipation et de cohésion sociale dont se réclame le CEED ?

V.M : Le texte qui réglemente le secteur des écoles de devoir reconnues par l’ONE est un texte qui envisage vraiment le travail avec l’enfant et le jeune dans la globalité.  Qui tient compte du développement intellectuel,  social et  culturel de l’enfant. De  ses rythmes aussi, du besoin de temps libre. Il s’agit d’un texte qui est respectueux et attentif aux droits de l’enfant, mais le contexte scolaire dans lequel on est, et le contexte de l’emploi dans lequel on est, mettent  les parents eux même en compétition.  On est arrivé depuis quelques années à une saturation de l’ensemble des écoles de devoir.  Etre un bon parent,  ce serait nécessairement inscrire son enfant à l’école de devoir.  Donc il y a tout un travail à faire aussi au niveau des parents. Il  y a des parents qui pourraient faire des choses, mais qui face à cette pression ne se sentent pas compétents, et je pense que ses parent-là, il faut vraiment leur donner l’occasion de  reprendre leur place aux cotés de leur enfant parce que ils en sont les éducateurs. Ils ont une place importante à jouer au même titre que l’enseignant, l’animateur ou autre.  En tout cas, ils sont une pièce maitresse du triangle éducatif.

La pression c’est de faire les devoirs et je pourrais donner un exemple : tout récemment, j’ai une maman qui m’appelle. Elle a bataillé pendant un an dans le secondaire et dit qu’elle ne pourra pas continuer parce que ça a été une bataille de tous les jours.  Je lui propose une école de devoir qui travaille sur la méthode, qui travail sur l’entraide ; en lui disant que peut être là il va trouver, en travaillant avec les autres, une motivation à s’y mettre.  Et bien, elle a refusé parce que ce qu’elle attendait c’était effectivement  que, quand elle rentrait le soir,  tous les devoirs soient fait.

Pour beaucoup de  parents, l’école c’est le diplôme, c’est réussir sa vie et ils ont un rapport aux apprentissages et à la scolarité qui focalise l’attention sur le résultat, sur le faire, sur recopier, sur répéter, sur relire.  C’est clair que ses dernières années on est dans un contexte de saturation puisque toutes les écoles de devoir ont des listes d’attentes ; c’est une grosse question.  La part que l’on souhaiterait consacrer à la construction des apprentissages sociaux, finalement  passe à la trappe.  Là où on a notre spécificité, notre temps de travail est grignoté par tout ce que je disais au début.

Le problème de la cohésion sociale, c’est que les écoles de devoirs sont situées soit dans les quartiers socio-économiquement faibles, précarisés, défavorisés ; ou dans des cités de logements sociaux qui présentent les mêmes caractéristiques même si c’est dans des communes plus favorisées.

Il y a des questions que l’on se pose : comment faire que des jeunes de différents quartiers se rencontrent et travaillent ensemble et s’entraident à partir du moment où il y a des représentations très figées d’un coté et de l’autre, et que tout est construit  pour qu’ils ne se rencontrent pas.  Je trouve que l’enjeu de la cohésion sociale pèse essentiellement sur les associations situées  dans les quartiers défavorisés.  Les subventions concernent ces quartiers-là.  Dans les autres, il n’y a pas de subsides et je trouve cela extraordinaire que l’exigence de la cohésion sociale repose à nouveau sur certains acteurs uniquement.

IJL : L’’école pourrait s’inscrire plus  dans une pédagogie du projet.  Les apprentissages pourraient passer justement par des biais différents que l’apprentissage qui va du Maître à l’élève et où tous les savoirs sont juxtaposés mais pas mobilisés. Qu’en penses-tu ?

VM : On clame depuis des années  la nécessité de la mise en place d’une vraie  pédagogie différenciée, tenant compte de là où sont les élèves.  On continue à fonctionner avec des classes frontales ; avec des normes de résultats en fin d’année, et donc on a une série de jeunes qui se retrouvent en échec parce que la norme n’est pas atteinte alors qu’ils ont fournis un travail considérable. Les progrès, le processus sont peu évalués. On sait que quand on est scolarisé dans l’enseignement spécialisé dans le fondamental on a peu de chance de sortir avec le CEB.  J’ai été contactée par un jeune qui a travaillé pendant plus d’un an pour essayer d’obtenir son CEB et vient de le rater pour 3 points et est totalement découragé car nulle part on a reconnu le travail qu’il a fait.  On stoppe l’évolution, on crée de la révolte,  et du manque de confiance en soi. Le positionnement des écoles  sur le marché scolaire est de plus en plus clair. Ces écoles sont évaluées en fonction des résultats des élèves : cette évaluation met la pression sur les élèves : dès la 5ème primaire on met la pression sur le CEB, on met une pression effroyable sur le 2ème degré et quand on nous annonce un bac, on ne peut que s’inquiéter, car on est de nouveau en train de laisser de côté tous ces jeunes qui fournissent des efforts et qui ne sont jamais reconnus..

IJL : Quelle est la réflexion de la CEED sur la nécessité de rendre les jeunes « employables ? »

V.M : Derrière cela il y a la politique européenne avec une obsession de  la mise à l’emploi dans un contexte où il n’y a pas d’emploi. C’est un discours qui est dans le déni du réel !

On a l’impression de  ne pas travailler dans la même réalité.  Quand on travaille sur le terrain, on voit les difficultés et l’énergie que les enfants et les parents peuvent mettre pour s’en sortir. Quand on prend acte du discours qui vient “d’en haut”, on a l’impression que l’on ne parle pas de la même chose..

Le problème prend racine dans un système généralisé de concurrence et de compétition.

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