Mesdames, Messieurs les Parlementaires, 

Les choix de société que nous impose la gestion de la pandémie sont aujourd’hui discutés à huis clos et dans l’entre-soi. Or, il nous semble indispensable que, pour une bonne et saine gestion de cette crise, le Parlement retrouve et assume un rôle prépondérant. Et ce au nom des motifs qui vont suivre.

Pour ce faire, un petit retour en arrière s’impose d’abord. 

Automne 2020. Bruxelles. Une étudiante déambule sur le piétonnier tout en avalant à la hâte son sandwich avant de se rendre à un dernier examen. Un policier zélé l’interpelle : « Le masque est obligatoire ! », il lui donne un « avertissement ». Trois semaines plus tard, un pro justicia  dans sa boîte lui réclame 250 euros d’amende. 

Molenbeek, début de l’été, deux jeunes assis sur un banc public se font houspiller de façon véhémente par une patrouille qui entame un contrôle comme s’ils venaient de prendre sur le fait une paire de délinquants : « vous ne pouvez pas rester assis là ! Vos pièces d’identité ! ».   

Partis en randonnée à vélo le week-end, un couple mixte se fait contrôler : « Un tel déplacement est-il essentiel ? A combien de kms habitez-vous ? Vivez-vous tous les deux sous le même toit ? ». 

Lors de la nuit du premier couvre-feu, le JT nous montre une policière qui s’approche d’un SDF : « Si vous restez dehors, vous allez avoir des problèmes ».  Ben voyons ! 

De telles situations, et bien d’autres du même acabit, les associations de terrain en rencontrent à profusion depuis le début de la crise Covid.

Les citoyens se trouvent confrontés tous les jours à des règles et des injonctions, certes empreintes de bonnes intentions, mais souvent à géométrie variable, contradictoires, et dont le caractère arbitraire est de plus en plus ressenti comme tel. 

La conséquence majeure de ce ressenti est une perte d’adhésion du public de plus en plus importante. Et sans adhésion, pas d’efficacité.

A l’origine d’une telle déconfiture : le flou et l’insécurité juridique qui règnent en maître sur la vie de tout un chacun depuis des mois. Concrètement, cela s’est traduit par la mise en œuvre via le pouvoir exécutif de mesures « Corona » dont la légalité et la constitutionnalité sont douteuses.

Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant, puisque ces mesures, prises par voie d’arrêtés, sont censées chaque fois s’appuyer sur une loi… qui en réalité n’existe pas.

En effet, l’adoption des mesures dont il est question pose trois problèmes fondamentaux. 

Un : les arrêtés ministériels édictés le sont en application d’une loi qui ne prévoit en aucune façon les situations d’épidémie et de pandémie. Donc, ces arrêtés ministériels sont pris sans habilitation valable, à ce titre ils sont illégaux. 

Deuxièmement, sauf exception, il revient au Parlement et à lui seul d’édicter de nouvelles sanctions pénales. Ce principe est repris par la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme. 

Troisièmement, la section législation du Conseil d’État (qui est là pour dire aux gouvernants s’ils restent dans les clous juridiques ou non) est à chaque fois contournée. Les arrêtés sont systématiquement pris en urgence et publiés au Moniteur à la dernière minute. Dès lors, dans une telle situation, ce sont systématiquement les médias qui « disent la loi » aux citoyens et non plus le Moniteur, comme pourtant il se devrait. 

En conséquence, un juge peut aisément écarter l’application de ce type de normes, – ce qui s’est d’ailleurs déjà produit, notamment en septembre dans le Hainaut, où un juge a déclaré irrecevable les poursuites pénales à l’encontre d’un habitant ayant enfreint les règles Covid. 

L’analyse de ces situations révèle à quel point le Parlement a été absent de la gestion de cette crise. 

En conséquence, qu’attend donc le Parlement pour prendre la problématique à bras-le-corps ? Sans quoi, qu’advient-il de la séparation des pouvoirs ? Et qu’advient-il de la démocratie et de notre état de droit ? 

Nous pensons que l’urgence consiste aussi, dans ce contexte éminemment délicat, à se saisir d’une telle question ! Car, en contournant systématiquement le Parlement, l’Etat favorise la soumission et la punition, au détriment de la compréhension et de l’adhésion des citoyens. 

De plus, dans un contexte où l’extrême droite a le vent en poupe, il nous semble des plus aventureux de poursuivre sur une voie où la Constitution et l’état de droit sont bafoués. 

Bien plus, nous pensons que les débats et les choix de société, qui sous-tendent la crise que nous traversons, devraient être publics et démocratiques.

Il vous appartient de reprendre la main. Faute de quoi, la défiance du citoyen vis-à-vis du politique ne peut que croître.

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